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Bonjour,
Je me suis promené
avec beaucoup d'intérêt sur votre site. Catholique,
je suis très sensible à la dévotion que nos
frères orthodoxes vouent aux icônes. J'ai, avec ma
femme, suivi des cours d'iconographie pendant 2 ans et cotoyé
une paroisse orthodoxe. Les icônes que nous avons écrites
ont toutes été bénies et sont disposées
dans chaque pièce de la maison. Aujourd'hui j'essaie humblement
de continuer seul, sans maître pour corriger mes erreurs,
mais nos notes et le livre de René Leaustic (notamment)
toujours à portée de main. Je suis très impressionné
par le sèrieux de votre parcours tel que vous le présentez
et d'autant plus surpris quand je lis que vous créez des
icônes de saints occidentaux. Peut-on véritablement
parler d'icônes? Certes, l'intention oecuménique
est belle mais j'ai toujours lu et entendu que la création
en matière d'iconographie byzantine était très
limitée: quelques détails de fond tout au plus.
J'avoue que cet attachement à la Tradition n'est pas pour
me déplaire et j'ai, bien que je trouve votre démarche
belle et positive dans l'esprit, tendance à penser qu'elle
constitue une dérive pour beaucoup. Je serais très
étonné que les autorités orthodoxes vous
suivent facilement dans cette voie. Pour ma part, je pense, avec
les orthodoxes, que l'iconographie est d'abord une prière
et très accessoirement un art. Il importe d'en respecter
le formalisme. J'espère que vous ne verrez pas dans ces
réflexions une critique de ce que vous faites, j'aimerais
seulement échanger qqs idées avec vous. Peut-être
trouverez-vous le temps de me répondre.
Bien cordialement,
Didier
Cher Didier,
Je vous remercie beaucoup pour
votre mail et il mérite bien que je prenne le temps pour
vous répondre. Cela me permettra aussi à moi-même
de clarifier ce point, parce que le choix que j'ai fait, même
s'il m'est somme toute naturel, n'en est pas moins réfléchi,
et j'ose le croire, respectueux de ce que j'ai reçu. Jamais
je ne peindrai (vous remarquerez que je préfère
utiliser ce terme, simplement parce qu'il existe dans la langue
française, contrairement au grec ou au russe qui ne connaît
qu'un mot pour exprimer ces deux actions que sont écrire
et peindre), ni ne permettrais de peindre à mes élèves,
des icônes douteuses du style d'une " rencontre de
st Joseph et de la Mère de Dieu " sur le modèle
de celle des sts Joachim et Anne, ou encore d'une Sainte Famille
aux membres tendrement enlacés
L'art de l'icône
a ses règles, qui sous tendent une saine théologie.
J'aime dire son " langage ", avec sa grammaire, mais
ce qui n'est pas tout à fait la même chose que le
" formalisme " dont vous parlez, je pense.
Peindre une icône est pour moi aussi, rassurez-vous, d'abord
et avant tout une prière. Et ce n'est pas parce que je
peins des saints occidentaux, que soudainement ce faisant, je
ne prierais plus et m'en tiendrais à une simple démarche
artistique
. Il est aussi pour moi service dans l'Eglise.
J'y reviendrai.
Si je vous comprends donc bien, vous trouvez choquant, au moins
injustifié, de peindre des saints occidentaux en icônes.
Je présume que vous voulez parler de saints qui ont vécu
après le schisme de 1054, et qui ne sont de ce fait pas
reconnus par les Eglises Orthodoxes.
Ce qui autorise donc déjà, vous en conviendrez avec
moi, tous ceux qui ont vécu avant ce schisme, même
s'il n'ont pas été représentés en
icônes en Orient, parce qu'ils n'y étaient ni connus,
ni donc vénérés.
L'icône étant l'art sacré des Eglises Orthodoxes,
il serait donc incompatible d'y voir figurer des saints ne relevant
pas de cette " juridiction ". L'argument ne manque pas
de poids, je ne peux le discuter.
Mais je crois que les choses ne sont décidément
pas aussi simples que cela. Tout d'abord, je vous rappelle qu'il
existe des Eglises orientales rattachées à Rome,
catholiques donc, qui ont la même " utilisation "
des icônes que les orthodoxes. Ayant la même liturgie,
cet art sacré y trouve naturellement sa place. J'ai donc
déjà vu des icônes de saints occidentaux "
post-schisme " peints dans ces Eglises, et qui peuvent remonter
assez loin dans le temps (Je pense par exemple à une icône
maronite de St Antoine de Padoue remontant au XVIIème siècle,
et vue dans une exposition ces dernières années).
Mais la question se pose essentiellement
dans la Tradition Catholique Romaine. L'icône étant
essentiellement liturgique, créée dans et en vue
de la liturgie, sa justification est plus délicate sous
nos horizons. Et je parle là au-delà de la représentation
ou non de saints catholiques, cela va beaucoup plus loin. Je pourrais
ainsi vous posez la question à vous, comme elle s'est posée
à moi pendant toutes ces années : en tant que catholique,
comment justifiez-vous le fait que vous peignez des icônes
? Si pour vous l'icône est avant tout formellement orthodoxe,
que pour vous l'avis des " autorités orthodoxes "
est incontournable en la matière, que l'attachement à
cette Tradition n'est pas pour vous déplaire (je cite vos
propos), comment cela peut-il vous être possible à
vous qui vous réclamez d'une autre Tradition, de peindre
une icône sans vous sentir légèrement "
schizophrène " ? Auquel cas, ça ne vous sera
pas bien utile puisque la vie spirituelle a tout de même
comme but, l'unification de l'être, en Dieu
.Croyez
bien qu'il n'y a de ma part aucun jugement ou même ironie.
Je suis passée par là d'une certaine manière
.
De mon côté, je n'ai finalement pas réussi
à trouver une autre justification que celle de la foi.
Je m'explique. Je crois profondément que l'icône
témoigne tout simplement de quelque chose qui dépasse
les frontières des institutions qu'elles quelles soient.
Elle est un signe de la Miséricorde et de la Beauté
de Dieu pour notre monde, aujourd'hui. Et le fait qu'on les ait
redécouvertes dans notre temps en Occident, comme en Orient
d'ailleurs un peu plus tôt, n'est sans doute pas un hasard.
Je ne crois pas au hasard, je crois en Dieu. L'icône est
signe du Royaume, ouverture vers Ce (Celui) qui nous dépasse
infiniment et qui en même temps se fait proche de nous.
En cela, elle est je crois avant tout chrétienne avant
d'être orthodoxe au sens strict, si je puis dire. Et c'est
pourquoi je me permets, avec d'autres iconographes, de représenter
des saints non orthodoxes, mais reconnus par leur Eglise, en l'occurrence
Catholique (je ne ferai jamais des icônes avec des "
personnalités " aussi respectables ou même "
saintes " qu'elles soient, mais hors Eglises, et/ou non au
moins béatifiées, comme cela existe hélas
aux Etats-Unis dans certains milieux catholiques).
Je vous rappelle aussi que, lors de la crise iconoclaste, le pape
a défendu le culte des icônes jusqu'à la mort,
contre les empereurs byzantins et les " autorités
orthodoxes " de l'époque, et que le VIIe concile cuménique,
portant sur les images saintes, a bel et bien été
ratifié par Rome. Il est vrai que le schisme n'était
pas encore passé par là
Je crois (et je sais
) aussi que l'art de l'icône est
un art vivant, fait au service du Vivant et de la communion des
saints. Il est beaucoup plus divers que chaque orthodoxie veut
bien le laisser entendre
Mes études m'ont permis
de le constater. L'icône ne se résume pas à
Byzance ou à la Russie : le Moyen Orient et l'Afrique (Coptes,
éthiopiens) en sont riches aussi et quelle différence
et quelle originalité ! L'art en Occident peut aussi être
apparenté à l'iconographie, jusqu'au XIIème
siècle environ.
De même il y a une évolution dans le temps, il y
donc aussi création, même si cela reste dans des
canons précis. Et les moments où les règles
ont été plus strictement fixées, " pétrifiées
" en quelque sorte, ont été des temps aussi
de recul dans la vie de la foi. Signes de crispation, de peur
que
l'on connaît encore de temps en temps.
Il n'existe pas non plus " une " Eglise Orthodoxe, comme
il y a " une " Eglise Catholique
Chaque Eglise
orthodoxe a sa propre conception de la mise en pratique de la
Tradition commune, due à la culture dans laquelle elle
s'enracine, et ses autorités ! Et c'est en soi tout à
fait légitime, jusqu'à ce l'on dérive dans
la définition identitaire, se positionnant alors tel contre
l'autre, celui qui est différent ou pense différemment
(même et surtout quand il y a très peu de différences
!
).
J'ai rencontré plusieurs iconographes, de différents
ateliers, et c'est parfois triste d'y trouver un tel esprit de
clocher
Que d'anathèmes muets ou exprimés
Juste pour dire qu'un peu de recul est plutôt souhaitable
Surtout
pour des catholiques
Pour en revenir à votre
souci, mes icônes de saints catholiques romains, je les
ai revues et il y en a finalement assez peu. En général
je peins les saints sur commande, et j'ai eu la chance de n'avoir
à peindre que des saints dont la sainteté est suffisamment
universelle (" catholique " ?!) pour n'avoir pas d'hésitation.
Il est vrai qu'il y a des orthodoxes pour ne pas reconnaître
la sainteté d'un François d'Assise, où d'une
Thérèse de Lisieux, mais je ne suis pas sure qu'ils
soient majoritaires
(les reliques de la petite Thérèse
ont été plutôt bien accueillies en Russie
!).
Je crois que notre temps est à la reconnaissance de la
sainteté de l'autre
C'est la sans doute le signe essentiel
de l'avancée de l'cuménisme.
Mais il n'est pas impossible que je sois un jour soumise à
une hésitation. Ceci dit, les personnes qui me commandent
des icônes sont généralement sensibles à
la spiritualité qui la sous-tend, et donc peut-être
au " type " de sainteté dont elle est à
même de rendre témoignage.
Pour finir, je dois quand même
vous avouer qu'après toutes ces années (27 ans !)
à essayer de vivre une vocation hors norme d'iconographe
au sein de l'Eglise catholique, je suis sur le point de me faire
chrismer dans une Eglise Orthodoxe, une Eglise orthodoxe occidentale
que j'ai eu la grâce de rencontrer et au sein de laquelle
je pourrais mieux servir. Parce que l'iconographie est un service,
un " ministère ". On ne peint pas pour passer
le temps ou se faire plaisir.
C'est une Eglise assez ouverte et qui ne pratique justement pas
la " discrimination " des saints, en sachant reconnaître
les fruits de l'Esprit, et rendre grâce pour tout.
Voilà, j'arrive au bout de mon " apologie ". Mais je dois donc reconnaître en définitive que je n'ai pas trouvé de solution à la question posée plus haut Je vais devenir orthodoxe, mais en restant au service de tous ceux qui souhaiteront une " petite fenêtre " pour leur donner un peu de lumière, et ceci par la grâce du Seigneur.
Avec ma fraternelle prière,
Agnès