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CARÊME (2011)

 

Ça y est, le temps est venu. Nous entrons en carême. Temps de " pénitence ". Privations, " mortification ". Dur !
Nous sommes pécheurs... L'Eglise nous invite à mettre le nez là-dessus, et cela ne sent pas très bon ! Alors, entreprise de culpabilisation, le carême ? Voire masochisme ? (Auto)punition pour le mal commis ? En espérant le pardon au bout et pouvoir fêter Pâques " dignement " ? Si c'est l'idée que l'on en a, soit on passe en se disant que c'est une pratique d'un autre âge, soit on serre les dents, on se met en quasi apnée en se disant que ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Une vieille sœur ursuline croisée il y a quelques jours, me dit ne pas oser me souhaiter un " bon carême ". Comment souhaiter du " désagrément " à quelqu'un en effet ! On ne souhaite généralement que du bien... Et pourtant. Devant mon insistance joyeuse, elle finit par me dire : " bon alors, si tu le prends comme ça... "

Peut-être que la première conversion que nous ayons à entreprendre, parce qu'il s'agit bien de conversion, c'est ... notre regard, notre façon de voir les choses.
Parce que, si l'on y réfléchit bien, le temps du carême est avant tout une grande grâce, un cadeau ! Durant ces quelques semaines en effet, nous sommes invités à nous rendre compte que nous nous trompons, que nous nous égarons, au point de nous être perdus, et à ... " simplement " rebrousser chemin. En Hébreu comme en grec, c'est du reste bien la traduction du mot de " péché " ! Erreur, " ratage ", on "manque la cible". Nous sommes invités à quitter nos chemins de Mort et (re)prendre le chemin de la Vie. Quelle invitation merveilleuse ! Non ?

Nous sommes pécheurs. Mais qu'est-ce que cela veut dire au fond ? Que l'on fait le mal ? Cela arrive trop souvent, mais ce n'est pas ça. Pécher, est une chose qui advient parce que nous sommes pécheurs, et ce n'est pas seulement une " lapalissade " ! Faire le mal, pécher, n'est qu'une conséquence de notre état. On ne fait la plupart du temps même pas " exprès ". St Paul dit bien qu'il fait le mal qu'il ne voudrait pas au lieu du bien qu'il voudrait et le Christ sur la croix prie pour ceux " qui ne savent pas ce qu'ils font " en le tuant. Le péché est de fait intimement lié à l'inconscience...

En fait, le péché ne survient que parce que ... nous nous sommes séparés de Dieu. C'est ça la Chute de l'homme, son exil. Le péché " originel ", " essentiel ", est notre rupture, notre séparation d'avec la Source de la Vie. On ne peut s'égarer, se tromper de direction, que lorsque l'on a lâché la boussole. Être pécheur, cela signifie donc par conséquent avant tout être mal vivant, voire même " mort-vivant ". Seuls les saints sont vivants, vraiment vivants. Parce qu'il sont unis à Dieu à chaque instant.
Et parce que toute séparation implique fermeture, enfermement, on peut aussi dire que le pécheur, séparé de Dieu, est en " enfer ". L'enfer n'est autre que cette situation d'enfermement, d'isolement désespéré loin de Dieu, de notre fait (parce Dieu Lui, n'est jamais loin de nous). Ce n'est donc pas du tout une " punition divine " ! Nous sommes en enfer parce que trop souvent nous avons pris et prenons des chemins de mort, d'où on ne sait plus ressortir. Nous sommes coincés, coincés en enfer, séparé de Dieu et par voie de conséquence séparés aussi de nos frères et de toute la création. Seuls. Seuls à nous débattre dans la souffrance du non-sens. Du coup, on s'éparpille, on se distrait, tout est bon pour oublier notre état misérable. Et quand ça ne marche pas ou plus on revendique, on accuse. Pour se justifier. " C'est la faute à... ", et finalement " qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu pour mériter ça ? ".... Il m'a, et me, suffit de Lui dire, consciemment ou non : " NON merci, je n'ai besoin de personne. Ma vie m'appartient et j'en fais ce que je veux". Et comme Dieu n'oblige personne, Il laisse libre de partir au loin le fils prodigue, mais en veillant toujours, parce qu'Il aime.
C'est donc ça l'enfer. C'est ça le péché : " Moi, je sais ce qui est bien (pour moi) et je fais ce que je veux, quand je veux, comme je veux. " Ni Dieu ni maître", " libre "....

Pas de chance, ça ne " marche " pas ! Ma vie n'est pas du tout à la hauteur de mes espérances. Pire, rien ne va. Ma prétendue liberté ne conduit qu'au malheur, à la mort. " Qu'est-ce que j'ai fait au BON Dieu ? "... Sa seule excuse pourrait être alors qu'Il n'existe pas.... argument définitif, mais qui ne résout rien.

Voilà où nous en sommes. Comme le fils prodigue crevant de misère et de solitude, et allant jusqu'à envier les porcs qu'il garde ! Et brusquement il se souvient... Il est Fils de Roi !
Voilà à quoi sert le carême : un aide-mémoire offert par l'Eglise. Quel cadeau ! Il rappelle que nous ne sommes pas condamnés à rester en enfer ! Nous sommes appelés à la Vie, et la Vie en plénitude ! Qu'il y a une porte de sortie. Plus exactement, qu'il n'y a plus de portes scellées, parce qu'elles ont été brisées. Mais on ne s'en était pas rendu compte, ou l'on avait oublié.


Pour échapper à l'enfer donc, on va se lever, se retourner, se mettre en route dans l'autre sens. C'est ça la conversion, la " métanoïa ". Comme le péché, le seul péché finalement, est de se séparer de la Source de la Vie, la conversion veut donc dire se reconnecter à cette Source. En termes évangéliques : se jeter dans les bras du Père. C'est là le but et l'œuvre de toute vie, dont le carême est un rappel pressant.

 

Mais... cela implique alors de reconnaître que ma position est fausse, que je n'ai pas à faire ce que je veux, et que je ne sais pas ce qui est bien pour moi. Que je dépends entièrement, intrinsèquement, vitalement de Quelqu'un d'autre (et des autres....). C'est carrément une mise à mort de mon petit moi. Alors là, c'est très dur. On se débat... On va essayer de discuter : " nous sommes des adultes responsables tout de même. Au XXIème siècle. C'est exagéré, ce n'est sûrement pas ça ! Il faut interpréter...." Mais C'EST... Et notre libération est à ce prix. Et ce n'est pas si cher payé ! Le prix fort a déjà été réglé...

Passer de l'orgueil à l'humilité, du " moi je fais ce que je veux " à l'obéissance. Dire OUI, au lieu de NON. Inconditionnellement. A tout. A chaque instant de notre vie. Accueillir, adhérer. Que ça me " plaise " ou non. Et même accepter toute ma vie, passée, présente et future. Aussi misérable soit-elle. Oui aussi à mes ratages, mes péchés. Ce qui ne signifie bien sûr pas que je les justifie, ce qui équivaudrait à les nier en tant que tels, mais à les reconnaître. OUI. AMEN, AINSI SOIT-IL. Et ...pleurer, laisser couler les eaux amères pour les transformer en joie. Alors, le pardon est donné. Parce que la Vie entre. Enfin.

Pour accompagner ce mouvement, l'Eglise, à la suite du Christ, nous propose trois moyens, trois aides efficaces. La prière, je jeûne et le partage.
La prière est évidente (au moins en théorie...). Par elle, nous nous tournons vers le Seigneur et nous nous mettons en sa Présence. Elle est ce qui nous lie à notre Source, c'est pourquoi elle est indispensable et a même pour vocation d'être perpétuelle, comme la respiration. On ne peut vivre sans respirer, et l'on ne peut pas Vivre non plus sans être " en Présence ".
Le jeûne, et le partage qui lui est lié, va nous aider à intégrer ce que veut dire vraiment que notre vie ne dépend que de Dieu, qu'Il est notre unique et véritable Source.
Si en effet, ma vie à sa source en Dieu et si je le reconnais, qu'est-ce qui pourrait me manquer ?... Tout vient de sa main miséricordieuse, aimante. Absolument tout.
Si je prends conscience et accepte que Dieu soit la Source de ma vie, que j'en dépende donc totalement, je ne peux plus être prédateur. Il n'y aura plus " moi " avant et contre les autres. Je n'aurai plus à me défendre, à me maintenir en vie au détriment de mes frères et de la création entière, parce que je prendrai conscience que cela m'est donné. Je prendrai conscience que ma vie ne dépend pas de ce que je peux prendre et consommer alentour. Encore moins mon bonheur !
Cela ne veut pas dire que nous n'aurons plus besoin de nourriture pour vivre, bien sûr, mais nous sommes appelés à changer notre façon de manger, de nous nourrir. Le jeûne, contrairement à la prière (et au partage) est d'ailleurs temporaire.
Le sens du jeûne est de (re)découvrir que ma vie ne dépend pas de la mort d'autres vies. Qu'elle dépend par contre de la vie donnée et accueillie avec respect et reconnaissance. En l'expérimentant.

L'Eglise orthodoxe a conservé cet exercice du jeûne. Elle invite à se limiter pendant cette période du carême, en s'abstenant entre autre de toute nourriture d'origine animale. Nous ne sommes pas de purs esprits. Notre conversion passe par une reconnaissance charnelle. Cela nous interroge en vérité, vitalement : " Qu'est-ce qui me fait vivre ?". On va donc s'affronter (un peu, contrairement à beaucoup de personnes dans le monde qui ne l'ont pas choisi...) à la faim, au manque ressenti, pour le transformer, et pour nous retourner. Aussi il ne suffit sans doute pas de nous abstenir que du superflu (douceurs...), mais il faut toucher (un peu...) à " l'essentiel ". A l'image de la pauvre veuve louée par le Seigneur qui donne au trésor du Temple le peu qu'elle a pour vivre, se remettant ainsi toute entière dans la main de Dieu. Mais chacun à sa mesure bien entendu. Juste peut-être un tout petit peu plus que ce que nous nous croyons capable de faire. Et surtout que ce ne soit jamais " contre ", mais " pour ". Jamais par " haine " de soi, mais par amour pour Dieu et pour nos frères avec qui tout véritable jeûne est un partage. Le véritable jeûne est en effet un acte d'amour. Pas un exploit, ni un régime....

En refusant de prendre, on va choisir de recevoir et ...de donner. Partager. Communier. Le jeûne est en effet un exercice qui nous fait passer de la consommation à la communion. Et à l'action de grâce. Parce qu'alors on prend conscience que rien ne nous est dû, que rien ne nous appartient, que tout nous est donné ! Et que tout cela est bon et beau. Tout devient alors Eucharistie !


Enfin, si notre source est véritablement et consciemment en Dieu, nous sommes également lié à tous et à la création entière, responsable de chacun et au service de tous. Dieu pouvant alors rayonner et agir à travers nous. Alors, on ne peut que partager ce que l'on reçoit, vivre les mains et le cœur ouvert.

 

Alors l'enfer a vraiment disparu, puisque tout s'est ouvert et laisse librement passer la grande Vie surabondante et joyeuse en tous et en tout. C'est la Résurrection, la Pâque du Seigneur ! Bon carême... Bon retour !